Le ’’ Thiébou thon’’ qui a créé l’indigestion des acteurs de la pêche artisanale.
Dans un grand entretien accordé à la presse nationale à l’occasion de fin de l’année, le Président de la République a laissé entendre qu’il ne connaissait pas le ‘’Thiébou thon’’ puisque les sénégalais ne consomment pas ce poisson. Une parole qui n’a pas été digérée par les acteurs de la pêche artisanale qui répliquent.
Pour répondre à une question d’un journaliste sur les accords de pêche avec l’Union Européenne et les espèces concernées par cette entente, le Président Macky Sall a semblé ne pas donner d’importance aux différentes espèces en question aux yeux des sénégalais. Selon le Chef de l’Etat, les sénégalais ne consomment pas du ‘’thiébou thon’’. Ce qui a créé une certaine réaction de la part de ces acteurs. Interrogé sur la sortie du Président Macky Sall par rapport à la pêche du thon, le Président de l’APRAPAM, fait savoir, « mon problème dans le discours du chef de l’Etat, il parlé de « thiebou thon » (riz au thon), il a dit qu’il ne connaissait pas le merlu. Mais, je rappelle que le merlu noir est pêché à Kayar et un peu au nord et on l’appelle communément « banana » chez nous. Il est consommé même par certains sénégalais ». Selon Gaoussou Gueye, « il ne s’agit pas d’avoir un « thiebou thon » ou pas. Le problème c’est d’essayer de voir comment développer une pêche thonière au Sénégal qui va renforcer l’économie de notre pays, assurer la durabilité de la ressource et créer des emplois. Pourquoi pas ne pas faire la promotion de la pêche artisanale thonière qui est très possible parce qu’il y a certains pêcheurs artisans qui pêchent ce thon-là à l’image du Ghana et d’autres pays comme la Cote d’Ivoire et les Seychelles ou les pêcheurs artisans pêchent le thon. Et d’ailleurs, avec le professionnalisme de nos pêcheurs artisans, ils peuvent bien le faire autant réfléchir sur ça et les accompagner dans ce sens. A mon avis, c’est là où réside le débat », indique-t-il.
Pour sa part, le Président du PANEPAS (Plateforme des Acteurs Non-Etatiques pour la Pêche Artisanale et l’Aquaculture au Sénégal) a indiqué, dans ce sens, que les pêcheurs de la région de Dakar ont râlé même ayant entendu ces propos. « Parce que quand tu parles à un pêcheur de Thiaroye ou quelqu'un qui habite Yarakh, Mbao ou Yoff, que tu ne manges pas du thon, ça c'est grave », estime Abdoulaye Ndiaye. Pour moi « ce n'est pas la faute du Président, c'est peut-être la faute de ses conseillers, surtout au niveau de la pêche. Là c'est le ministère de la pêche ou ses techniciens qui devraient être auprès du Président pour lui expliquer les espèces données aux européens. C’est vrai que c'est le thon, mais le thon est péché dans le cadre de la pêche artisanale. On a l'habitude d'entendre des autorités du pays dire que le thon n'est pas péché par les Sénégalais. Mais, je suis désolé ! C'est bien péché par les pêcheurs sénégalais qui vivent de ça. Il y a des localités au Sénégal où les acteurs sont des professionnels en matière de pêche de thon. Je crois qu'il y a des photos qui ont été partagées dans des groupes WhatsApp pour montrer uniquement ce que le Président nous a dit. Mais, en réalité, voilà ce que nous vivons. Donc les pêcheurs artisanaux savent très bien même pêcher le thon. » Pour ce qui concerne le merlu, il ajoute, « c'est une espèce qui se pêche également au Sénégal : c'est une espèce qui est en eau profonde, mais qui se consomme ici au Sénégal. Si vous voulez des preuves, il faut aller à Kayar ou à Yoff. Les pêcheurs les débarquent là-bas. Il y a beaucoup d'usines de transformation qui achètent le produit à partir des pêcheurs artisanaux et qui parviennent à l'exporter hors du pays », précise M. Ndiaye. Pour lui, « c'est une méconnaissance de sa part ou bien des conseils qui n'ont pas été à leur place, surtout au niveau des ministères. Pour moi, c'est le rôle du ministère d'aiguillonner le Président pour lui montrer la pêche, voilà le thon, voilà les autres espèces et voilà où ça se pêche. Il ne sert à rien de se cacher pour dire que ça ne se pêche pas ici alors que ça se pêche bel et bien. Je crois ce n'est pas la bonne solution », pense le Président de la PANEPAS.
Dans le même sillage, Gaoussou Gueye informe, « l’accord thonier avec l’union européenne, c’est 45 bateaux et c’est vérifiable sur le site de l’union européenne. Le Président de la République a parlé de 33, c’est ça le protocole et encore que la difficulté dans l’accord de pêche avec l’union européenne c’est les prises accessoires qui sont excessifs. » Il précise : « Quand deux merlutiers doivent pêcher 1750 tonnes de merlus avec 29% de prises accessoires, cela pose problème. Car, ils peuvent pêcher en dehors de leur merlu d’autres espèces que ça soit les céphalopodes, les crustacées et les démersaux côtiers. Là aussi, nous demandons qu’il y ait un minimum de transparence et d’informations par rapport à ces prises accessoires », réclame-t-il.
A la recherche des solutions…
Ce fléau qui est en train de d’épuiser les ressources halieutiques du Sénégal tarde à trouver une solution durable. Certes, l’Etat du Sénégal a annoncé certaines solutions qui sont envisagées, mais ces dernières ne semblent pas satisfaire les acteurs. « Le président de la république a également déclaré qu’aujourd’hui, le Sénégal est en train d’être entièrement équipé à travers des navires de surveillance et même qu’il va acheter un avion. C’est certes extraordinaire, mais avant d’acheter des navires performants, d’avoir un avion qui va survoler 6h de temps par jour nos eaux, il serait beaucoup plus facile de publier la liste des navires pour qu’on sache et qu’on comprenne comment ces navires sont venus dans nos eaux, même si c’est sous licence ou sous accord. Des pays comme le Libéria le font, où la liste des navires est mise à jour régulièrement et chaque citoyen libérien peut avoir accès à ces informations », préconise Gaoussou Gueye. Même son de trompette pour Abdoulaye pour qui, ce qu’il faut faire, « c'est juste donner la bonne information et la bonne information, vous pouvez l'avoir à partir de tous les pêcheurs du Sénégal. Le thon est bien péché par des sénégalais et ça se confirme. Le merlu est également bien péché au Sénégal, c'est bien consommé au Sénégal, même s'il y a des bateaux qui le pêchent comme nous. Mais ce sont des espèces qui sont pêchées et consommées au Sénégal et si on y prend garde, si on laisse faire, demain on peut avoir des problèmes. Pour le merlu, la recherche avait dit depuis longtemps qu'il est en situation de surexploitation et qu’il fallait réduire », indique-t-il. Avant de continuer : « La recherche ne doit pas nous demander de réduire et qu'on continue à mettre la pression sur ces espèces. Même si on nous dit que c'est seulement deux bateaux, mais des bateaux qui ont des techniques de pêches sophistiquées, ils peuvent faire mal à la ressource. »
De ce fait, réclame Abdoulaye Ndiaye, « on demande l'expertise et l'évaluation de la première phase. Sur quoi on s'est basé pour demander de réduire. C’est vrai mais, il doit y avoir des bases scientifiques. On a réduit voilà la base, voilà pourquoi, voilà les résultats. Si on se dit qu'on a les résultats, c'est géré par le ministère, qu'est-ce qui empêche aujourd'hui de les publier, de les partager ? » s’interroge-t-il. Poursuivant, il explique, « donc c'est cela le problème du Sénégal. Il faut qu'on pense dès à présent à faire la transparence dans le secteur de la pêche. On a des ressources qui sont gérées par un ministère, le ministère a l'obligation de partager ses connaissances, de partager tous ces résultats avec les organisations des professionnels de la pêche », fulmine M. Ndiaye. Enfin, estime-t-il, « l’adhésion au FITI peut être une piste de solution, parce que le Président, dans son discours a parlé de l'ITIE (Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives). L'ITIE en termes de pêche, son équivalent c'est la FITI. Pourquoi le Sénégal accepte d'adhérer à l'ite et ne fait rien pour adhérer à la FITI. On adhère à l'ite alors qu’on n’a pas vu une seule goutte de pétrole. Nos poissons s'en vont et on veut adhérez à la FITI, c'est quoi donc ce sur quoi on doit travailler », montre-t-il.
PECHE : Les acteurs décrient le manque de transparence dans les accords avec l’union européenne.
Les acteurs de la pêche artisanale sont toujours dans une situation de confusion face aux termes des accords de pêche signés entre l’Etat du Sénégal et l’union européenne. Ils réclament plus de clarté dans la ce cadre.
Les accords de pêche entre l’Union Européenne et le Sénégal restent toujours un débat sans épilogue. Non pas pour son existence, qui est avérée aux yeux de tous les acteurs de la pêche, mais plutôt dans la lisibilité des termes de ces accords et la transparence dans le déroulement de cette entente. Déjà sur le plan du nombre de bateaux disposant d’une licence leur permettant d’opérer dans les eaux sénégalaises, c’est le flou total. « Vous l'avez vu, le président a parlé de 162, je crois le ministre lui parle de 129. Donc, quel est le bon chiffre ? Et pourtant, il y a le chiffre : c’est quoi le bon maintenant ? », s’est interrogé Abdoulaye Ndiaye. Dans ce sens, renforce le Président du PANEPAS (Plateforme des Acteurs non-étatiques de la pêche artisanale et de l’aquaculture au Sénégal) : « c'est celui du Président de la République ? Celui du Ministre ou c'est celui du Directeur ? Finalement, tous les sénégalais restent pantois. Personne ne sait comment gérer cette affaire. » Pour lui, c’est la raison de plus qui fait qu’il faut « qu'on aille vers la transparence. Et, dans le secteur de la pêche, si on veut vraiment aller de l'avant, le Président, j'avais un conseil à lui donner, je lui demanderai de convoquer un Conseil Présidentiel sur la pêche. Présidez-le, invitez tous les acteurs, on se met autour d'une table. Je crois que les solutions vont sortir », indique Abdoulaye Ndiaye.
Dans la même lancée, Gaoussou Gueye, Président de l’APRAPAM (Association pour la Promotion et la Responsabilisation des Acteurs de la Pêche Artisanale Maritime), conduit la même réflexion. Selon lui, le Président Macky Sall « a parlé de 125 bateaux qui sont sous licence au Sénégal qui appartiennent à des sénégalais en société mixte, je suppose. Qui sont ces sénégalais ? Comment ils ont fait pour avoir ces bateaux et dans le rapport de la DPM (Direction de la Pêche Maritime) de 2019, on nous parle de 195 bateaux. Au niveau du Ministère de la pêche et de l’économie maritime, on nous parle tantôt de 12 et de 131 bateaux. Quel est le bon chiffre ? »
Selon M. Gueye, « le Sénégal prône la transparence jusqu’à pousser le Président de la République à prendre un engagement en 2016 pour son adhésion du Sénégal dans l’initiative de transparence, Fisheries Transparency Initiative (Fiti). Mais le minimum de la transparence aujourd’hui, c’est l’accès à l’information », martèle Gaoussou. Avant de préciser : « ce que nous nous demandons, c’est la publication des listes des navires qui opèrent au Sénégal en ce moment, s’ils sont en accord ou en société mixte on saura, ces bateaux sont dans quelles pêcheries ? Est-ce que c’est le restant de ces bateaux ? Ils sont dans le thon, les petits pélagiques ou les démersaux côtiers ? Mais personne ne sait. »
Et le Président de l’APRAPAM de rappeler, que les démersales côtières ont été gelées depuis 2006. « Et à mon avis, tout ce qu’on fait au Sénégal doit être en corrélation avec les politiques publiques à travers le PSE, la lettre de politique sectorielle qui ont défini trois cadres : la gestion durable de la ressource, la restauration des habitats et la valorisation des produits halieutiques et en faisant la promotion de l’Aquaculture. Mais octroyer autant de bateaux là où la recherche est quasiment absente au Sénégal parce que depuis 2015 on n’a pas fait l’évaluation de l’état de notre ressource halieutique. Donc, sur quelle base scientifique on a renouvelé l’accord avec l’Union Européenne? Quelle a été la position de nos scientifiques? De notre recherche? Même si c’est le thon, cet accord doit être évalué d’une manière scientifique, technique et même financière. A mon avis même si le thon n’appartient pas au Sénégal, j’insiste et je persiste qu’on doit développer une pêche artisanale thonière qui va être beaucoup plus rentable pour le Sénégal et publier une fois de plus la liste des navires qui va édifier tout le monde », renchérit-il. A l’en croire, ce n’est qu’en ce moment que les sénégalais sauront s’il y a 125 ou 130 ou 195 et ils sont dans quelle pêcherie. « Surtout, il ne faut pas confondre la liste des navires que nous demandons avec le registre des navires au niveau de la Commission Sous Régionale de Pêche (CSRP). Je précise que la liste des navires, ce sont les navires qui opèrent au Sénégal et le registre des navires, c’est au niveau de la commission sous régionale qui a son siège au Sénégal et qui a appartiennent à sept pays. Mais nous, ce que nous demandons, c’est la liste des navires qui opèrent dans les eaux sénégalaises soit sous accord ou sous licence. Dans ce cas, nous saurons qui est qui ? Et qui fait quoi ? »
LES USINES DE FARINE DE POISSON : « faire la promotion des usines de farine de poisson, c'est une catastrophe pour le pays », Gaoussou Gueye
Le Président de l’APRAPAM a mis le doigt sur le principal problème que posent les usines de farine de poisson au Sénégal. A l’en croire, « faire la promotion des usines de farine de poisson, c'est une catastrophe pour le pays. Non seulement pour la ressource, pour la santé des populations de là où l'usine est implantée et même au niveau de la pollution marine. ». en effet, Gaoussou Gueye estime que le problème de la farine est assez simple. Dans ce sens, le Président de l’APRAPAM se lance dans une démonstration : « pour avoir 1kg de farine de poisson, il faut avoir 5kg de poisson frais. Pour avoir 1kg de poisson d'élevage, il faut avoir 25kg de poisson frais. Hors aucune législation ne permet à une usine de farine de poisson de le faire avec du poisson frais. Et quand on a 1kg de poisson d'aquaculture, tu prends 25kg de poisson frais, une personne qui va au restaurant, qui achète ce même poisson, il le mange en moins de 20mn. »
Dès lors, il exprime son pessimisme devant le besoin annuel en poisson des populations sénégalaises qui, dans certaines régions risquent de ne pas manger de poisson durant toute l’année. Il explique : « on nous dit que chaque sénégalais doit consommer 29kg de poisson par an. Mais ce n'est pas possible à Sedhiou où on n'arrive même pas à consommer 7kg. Donc, faire la promotion des usines de farine de poisson, c'est une catastrophe pour le pays. » Pour M. Gueye, tout cela, ce sont des éléments sur lesquels il faut réfléchir. « Est-ce que les études d'impact ont été faites normalement ? Est-ce que ça a été validé par les localités et par les populations. C'est là où se situe le problème. Là également il y a un minimum de transparence », démontre-t-il. De son avis, aujourd'hui, l'ensemble des sénégalais doit comprendre que le ‘’yaboye’’ qu'on prend pour en faire de la farine est le filet de sécurité alimentaire de nos populations. « Parce qu'aujourd'hui nos populations n'arrivent plus à accéder aux Thiofs, aux dorades ainsi de suite, c'est le yaboye qui leur reste. Maintenant, s'il y a des navires qui viennent prendre ces petits pélagiques communément appelés yaboye, pour en faire de la farine de poisson alors que ce yaboye est le poisson du peuple, ça pose problème », martèle Gaoussou Gueye.
Il précise : « C'est là que nous, nous sonnons l'alerte. On n'est pas là pour défier qui que ce soit mais, on donne tout simplement l'alerte. Et l'alerte peut être compréhensible d'autant plus que nous-mêmes, notre état se décarcasse pour aller chercher des licences dans les pays limitrophes pour que nos pêcheurs puissent aller pêcher. Mais c'est parce que, bon sang, il n'y a plus de poissons dans nos eaux. Si on avait du poisson chez nous, on n'allait pas en demander ailleurs. Donc, il faut changer de paradigme, il faut changer de politique de pêche et la manière de gérer cette pêche. »